L'engouement si parisien pour les chefs à domicile
Marion Proust, chef à domicile, prépare une cuisine de marché avec un penchant diététique.
Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO
L'ostentation alimentaire est quelque peu en retrait. On se tape encore la cloche, mais souvent à la maison, et avec un chef.
Ils arrivent en tenue de combat (veste blanche, pantalons
pied-de-poule) avec des airs de conspirateurs. Ils entrent par la porte
de service, se faufilent dans les escaliers. Dans quelques heures, ils
repartiront avec la même discrétion. Mais avec un sac-poubelle dans la
main. Ce sont les chefs à domicile.
Éric Levy avait commencé de
la sorte dans les années 1985 avec le Pin Up Studio. Aujourd'hui, depuis
2003, il bichonne dîners privés, d'entreprise et même petits gueuletons
dans son atelier de la rue Broca (Ve arrondissement). Éric Levy tape
dans le haut de gamme, avec produits signés (légumes Joël Thiébault,
viandes Desnoyer…). Et surtout dans des démonstrations de 15 à 20
séquences (petits plats) facturés dans les 150 €-200 € (vin non
compris). Il peut aussi asséner un chili con carne, comme il y a peu, à
120 personnes ; la douloureuse est alors moins saignante: 12 euros par
tête de pipe.
Comme un bon canapé
David Lattès, lui, est
plus paisible. Il est avant tout à l'écoute de ses clients.
Autoentrepreneur depuis quelques années, il travaille aussi bien pour
une personne que pour 300. Mais la plupart du temps, il opère pour six
couverts (comptez de 70 à 125 € par personne, vin compris).
«Ma
différence? C'est sans doute rechercher les plats d'enfance de mon
client, retrouver son histoire à travers les plats que je fais pour
lui.» Résultat, une cuisine inspirée et de ressenti, travaillant avec un
réel succès, sans carte, ni menu.
Elle a la chance d'avoir un patronyme épatant, et elle est connue dans l'Est parisien par
ses biscuits
et, depuis cette semaine, pour ses madeleines Léonie. «Mlle Proust»,
alias Marion Proust, est également chef à domicile. C'est souvent au
déjeuner. Sa proposition est à l'image de son visage: souriante et
enjouée. Une cuisine de marché avec un penchant diététique, histoire de
ne pas affoler les compteurs caloriques. La modicité de ses prix lui
garantit une clientèle également radieuse de 55 à 75 € par personne.
Pourquoi
cet engouement actuel pour les chefs à domicile? «Sans doute, explique
Éric Levy, parce que les gens aspirent souvent à ne pas être vus. Ne pas
se mélanger. C'est un style de vie. Ils préfèrent regarder un film sur
grand écran chez eux que d'aller au cinéma.» La nourriture est souvent
secondaire. Il suffit qu'elle soit, sérieuse, confortable. Comme un bon
canapé.
«C'est exactement cela, confie une célébrité du Xe
arrondissement, on fait appel à ces chefs à domicile pour partager le
plaisir d'être avec ses amis sans avoir à passer deux jours à préparer
un dîner. Ou se faire malmener au restaurant. Mes amis picorent, sautent
d'un plat à l'autre sans devoir faire, comme jadis, honneur à la
cuisine de la maîtresse de maison. Je consacre un budget de 100 € par personne environ et j'ai la garantie d'avoir une soirée nickel.»
Prix bonbons
Dans
cet univers apparemment ouaté et convenu, il ne saurait y avoir
d'ombres. Bien souvent, de grands chefs étoilés se mêlent à la bagarre
du marché, vendent leur renommée à prix bonbons (comptez jusqu'à 500 €
par personne), mais délèguent un gâte-sauce. Ils ont l'habitude et
l'infrastructure (celle du restaurant, pardi!). Ils peuvent alors, grâce
au réseau des concierges, organiser en 24 heures un commando pour un
dîner de demande en mariage (coût 4 000 euros pour six personnes). Quand
on aime, on ne compte pas.
Chef à domicile peut être également le
troisième job d'un cuisinier travaillant à droite et à gauche. Sans
compter sur les nouvelles hirondelles qui font leur apparition. Les
cuisiniers d'un jour qui s'improvisent chef à domicile. Travaillant au
black, ils font sortir de la vapeur, non seulement des autocuiseurs,
mais également des naseaux des restaurateurs qui fulminent devant cette
concurrence nouvelle.