30 oct. 2012

Article dans le Figaro, vendredi 20 octobre 2012


L'engouement si parisien pour les chefs à domicile

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Par François Simon Publié Réactions (5)
Marion Proust, chef à domicile, prépare une cuisine de marché avec un penchant diététique.
Marion Proust, chef à domicile, prépare une cuisine de marché avec un penchant diététique. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO

L'ostentation alimentaire est quelque peu en retrait. On se tape encore la cloche, mais souvent à la maison, et avec un chef.

Ils arrivent en tenue de combat (veste blanche, pantalons pied-de-poule) avec des airs de conspirateurs. Ils entrent par la porte de service, se faufilent dans les escaliers. Dans quelques heures, ils repartiront avec la même discrétion. Mais avec un sac-poubelle dans la main. Ce sont les chefs à domicile.
Éric Levy avait commencé de la sorte dans les années 1985 avec le Pin Up Studio. Aujourd'hui, depuis 2003, il bichonne dîners privés, d'entreprise et même petits gueuletons dans son atelier de la rue Broca (Ve arrondissement). Éric Levy tape dans le haut de gamme, avec produits signés (légumes Joël Thiébault, viandes Desnoyer…). Et surtout dans des démonstrations de 15 à 20 séquences (petits plats) facturés dans les 150 €-200 € (vin non compris). Il peut aussi asséner un chili con carne, comme il y a peu, à 120 personnes ; la douloureuse est alors moins saignante: 12 euros par tête de pipe.

Comme un bon canapé

David Lattès, lui, est plus paisible. Il est avant tout à l'écoute de ses clients. Autoentrepreneur depuis quelques années, il travaille aussi bien pour une personne que pour 300. Mais la plupart du temps, il opère pour six couverts (comptez de 70 à 125 € par personne, vin compris).
«Ma différence? C'est sans doute rechercher les plats d'enfance de mon client, retrouver son histoire à travers les plats que je fais pour lui.» Résultat, une cuisine inspirée et de ressenti, travaillant avec un réel succès, sans carte, ni menu.
Elle a la chance d'avoir un patronyme épatant, et elle est connue dans l'Est parisien par ses biscuits et, depuis cette semaine, pour ses madeleines Léonie. «Mlle Proust», alias Marion Proust, est également chef à domicile. C'est souvent au déjeuner. Sa proposition est à l'image de son visage: souriante et enjouée. Une cuisine de marché avec un penchant diététique, histoire de ne pas affoler les compteurs caloriques. La modicité de ses prix lui garantit une clientèle également radieuse de 55 à 75 € par personne.
Pourquoi cet engouement actuel pour les chefs à domicile? «Sans doute, explique Éric Levy, parce que les gens aspirent souvent à ne pas être vus. Ne pas se mélanger. C'est un style de vie. Ils préfèrent regarder un film sur grand écran chez eux que d'aller au cinéma.» La nourriture est souvent secondaire. Il suffit qu'elle soit, sérieuse, confortable. Comme un bon canapé.
«C'est exactement cela, confie une célébrité du Xe arrondissement, on fait appel à ces chefs à domicile pour partager le plaisir d'être avec ses amis sans avoir à passer deux jours à préparer un dîner. Ou se faire malmener au restaurant. Mes amis picorent, sautent d'un plat à l'autre sans devoir faire, comme jadis, honneur à la cuisine de la maîtresse de maison. Je consacre un budget de 100 € par personne environ et j'ai la garantie d'avoir une soirée nickel.»

Prix bonbons

Dans cet univers apparemment ouaté et convenu, il ne saurait y avoir d'ombres. Bien souvent, de grands chefs étoilés se mêlent à la bagarre du marché, vendent leur renommée à prix bonbons (comptez jusqu'à 500 € par personne), mais délèguent un gâte-sauce. Ils ont l'habitude et l'infrastructure (celle du restaurant, pardi!). Ils peuvent alors, grâce au réseau des concierges, organiser en 24 heures un commando pour un dîner de demande en mariage (coût 4 000 euros pour six personnes). Quand on aime, on ne compte pas.
Chef à domicile peut être également le troisième job d'un cuisinier travaillant à droite et à gauche. Sans compter sur les nouvelles hirondelles qui font leur apparition. Les cuisiniers d'un jour qui s'improvisent chef à domicile. Travaillant au black, ils font sortir de la vapeur, non seulement des autocuiseurs, mais également des naseaux des restaurateurs qui fulminent devant cette concurrence nouvelle.